Béjaïa stellaire : Akfadou, Kherrata et Cap Carbon

Trois observatoires où l’astronome a touché la terre

Trois sites méconnus qui ont transformé un astrophysicien du désert

« Yacine était venu à Béjaïa pour observer les étoiles. Il a découvert que la terre brillait plus fort que le ciel. » Cette phrase résonnait encore dans ma tête en rangeant mon télescope ce matin-là, face à la Méditerranée scintillante. Moi, Dr. Yacine Boumediene, 28 ans, doctorant en astrophysique à l’Université de Constantine, j’étais venu dans cette région pour ma thèse sur l’observation stellaire en altitude. Une mission purement scientifique, pensais-je.

Ma spécialité ? Les phénomènes lumineux nocturnes dans les hauts plateaux sahariens. Mes terrains habituels : Ouargla, Ghardaïa, les étendues arides où la pollution lumineuse n’existe pas. Mais mon directeur de thèse avait insisté : « Va voir ce que donnent les montagnes côtières. Le contraste humidité-altitude pourrait révéler des choses surprenantes. » J’ai accepté, sceptique. Comment cette côte méditerranéenne, forcément polluée, pourrait-elle rivaliser avec l’immensité saharienne ?

Lac Noir d’Akfadou : Quand les étoiles se dédoublent

« Ammi, pour aller au Lac Noir, il faut un guide », m’avait prévenu le réceptionniste de mon hôtel en ville. « Demandez Mohand le berger, il connaît les « chemins des étoiles », comme dit son père. » Cette expression m’avait intrigué. Quel berger kabyle parlait d’astronomie ?

Mohand m’attendait à l’aube près de la mosquée d’Akfadou, son visage buriné par soixante années de montagne. « Tu cherches les étoiles, a khoya ? Allez, suis-moi. Mon père m’a appris où elles se cachent le mieux. » Sa Land Rover brinquebalante nous a menés à travers la forêt de chênes-lièges, puis sur un sentier muletier qui grimpait vers 1260 mètres d’altitude.

Et puis, au détour d’un virage, le lac est apparu. Pas un lac ordinaire. Une étendue d’eau noire et parfaitement lisse, nichée dans un cirque rocheux, entourée de cèdres centenaires. « Pourquoi noir ? », ai-je demandé, fasciné par cette couleur d’encre sous le soleil matinal.

« La profondeur, ya docteur. Quarante mètres par endroits. Et les tanins des feuilles mortes. Mais attends la nuit, tu verras le vrai spectacle. » Mohand a installé mon télescope sur une plateforme rocheuse naturelle. « Mon père disait : ici, les étoiles viennent boire. Tu vas comprendre. »

À 22h, j’ai compris. Dans l’objectif de mon télescope, la constellation d’Andromède scintillait avec une netteté parfaite – l’altitude et l’air pur des montagnes faisaient leur effet. Mais quand j’ai relevé la tête… « Soubhan Allah ! » La même constellation se reflétait dans l’eau immobile du lac, créant un phénomène de double observation unique. Les étoiles d’en haut et leurs reflets d’en bas créaient une sphère céleste complète autour de nous.

« Les anciens venaient ici pour les grandes décisions », a murmuré Mohand en préparant du thé sur son réchaud. « Ils disaient que quand le ciel et la terre se regardent dans les yeux, la vérité apparaît. » Cette nuit-là, entouré par cette cathédrale naturelle, j’ai senti quelque chose changer en moi. L’émotion dépassait la science pure.

Gorges de Kherrata : Quand la géologie révèle ses couleurs nocturnes

Le lendemain, direction les gorges de Kherrata, à une heure de route vers l’ouest. « Pour l’observation, ya si Yacine, il faut aller chez Omar le guide », m’avait conseillé un membre de l’association d’astronomie amateur de Béjaïa croisé en ville. « Il connaît les corniches où la pollution lumineuse n’arrive pas. »

Omar m’attendait à l’entrée des gorges, petit homme énergique aux mains marquées par la roche calcaire. « Tu viens d’où, khoya ? » « Constantine. » « Ah ! La ville des ponts ! Ici aussi on a nos ponts naturels. Mais surtout, on a nos théâtres de pierre. Viens voir. »

La descente dans les gorges m’a d’abord désorienté. Ces parois calcaires de 500 mètres de hauteur créaient un canyon étroit où l’écho de nos voix se perdait. « La nuit, c’est différent », a promis Omar en me guidant vers une corniche aménagée d’où émergeait une vue plongeante sur l’oued en contrebas.

À la tombée de la nuit, le spectacle a commencé. D’abord, mes observations habituelles : Jupiter et ses lunes parfaitement visibles, Saturne et ses anneaux nets comme jamais. Puis Omar a allumé sa lampe rouge faible sur les parois rocheuses. « Regarde maintenant les vraies couleurs de chez nous. »

Là où je ne voyais que du calcaire gris en journée, la lumière tamisée révélait des strates multicolores : ocre, rouge brique, blanc ivoire, parfois rose. « C’est le complexe volcanique d’Amizour », a expliqué Omar. « Des millions d’années d’histoire sous nos pieds. Mes fils apprennent ça à l’école maintenant, al hamdoulillah. » Moi qui passais mes nuits à scruter l’espace lointain, je découvrais un autre univers : celui du temps géologique inscrit dans la pierre.

« Les anciens disaient que ces roches gardent la mémoire des étoiles », a ajouté Omar en éteignant sa lampe. Dans l’obscurité retrouvée, seule la Voie lactée illuminait ce théâtre minéral. J’ai réalisé que l’astronomie ne se limitait pas aux télescopes. Elle commençait par comprendre la planète sous nos pieds.

Cap Carbon : Quand les observateurs deviennent observés

Mon dernier site d’observation : le célèbre Cap Carbon et son phare culminant à 220 mètres, l’un des plus hauts phares du monde. « Pour le pic des singes, il faut y aller au coucher du soleil », m’avait recommandé Saïd, garde forestier du Parc National Gouraya. « Les macaques sont moins farouches, et toi, tu auras ta mise en place parfaite pour la nuit. »

L’ascension vers le phare offrait déjà un panorama exceptionnel : la baie de Béjaïa en arc de cercle, les montagnes kabyles en arrière-plan, la Méditerranée à l’infini. Mais c’est en installant mon télescope près du phare que la vraie surprise m’attendait.

« Psst… regarde derrière toi », a chuchoté Saïd avec amusement. Une famille de macaques de Barbarie nous observait depuis les rochers, avec la même curiosité que nous portions aux étoiles. Le mâle dominant scrutait mon télescope, l’air interrogateur. « Qui observe qui ? », ai-je murmuré, amusé par cette situation inédite.

« Ma grand-mère racontait que Yemma Gouraya, la sainte protectrice du cap, pouvait lire l’avenir dans les étoiles », m’a confié Saïd en montrant le marabout au sommet. « Elle disait que chaque constellation avait son équivalent kabyle. Celle-là », il pointait Cassiopée, « c’est Tamghalt Ufella, la Reine d’en Haut. »

Cette nuit-là, entre les macaques curieux, les légendes berbères et la splendeur du ciel méditerranéen, j’ai vécu une épiphanie. Mon télescope captait des galaxies lointaines, mais autour de moi, la vie terrestre offrait un spectacle tout aussi fascinant. Les macaques s’endormaient en famille, les vagues caressaient les falaises en contrebas, le phare envoyait ses signaux réguliers vers le large.

Au lever du soleil, en rangeant mon matériel au chant des oiseaux marins, la phrase qui ouvre cet article a pris tout son sens. « Yacine était venu à Béjaïa pour observer les étoiles. Il a découvert que la terre brillait plus fort que le ciel. »

L’astronome qui a touché terre

Trois nuits. Trois sites. Une révélation : l’univers ne se limite pas aux espaces intersidéraux. Il commence ici, dans ces montagnes de Béjaïa où l’eau reflète les étoiles, où la roche raconte le temps, où les macaques nous rappellent que nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres sous la voûte céleste.

De retour à Constantine, mes collègues m’ont trouvé changé. « Tu parlais que d’exoplanètes avant », a remarqué mon directeur de thèse. « Maintenant tu t’intéresses à la géologie terrestre aussi ? » Comment lui expliquer que Mohand, Omar et Saïd m’avaient enseigné une astronomie que l’université ne connaît pas ? Celle qui lie le cosmos à nos racines, l’infiniment grand à l’authentiquement local ?

Mon rapport de mission était technique, chiffré, conforme aux attentes académiques. Mais au fond, Béjaïa m’avait offert bien plus qu’une thèse. Cette région m’avait réconcilié avec ma propre planète. Désormais, quand j’observe les étoiles depuis les hauts plateaux de Constantine, je pense à ce lac noir qui les reflète, à ces gorges qui gardent leurs couleurs, à ces macaques qui questionnent nos télescopes.

Et parfois, dans mes jumelles pointées vers l’espace, je cherche la constellation de Yemma Gouraya, cette Reine d’en Haut que Saïd m’a fait découvrir. Parce que les étoiles berbères brillent peut-être plus fort que les autres – elles portent en elles la mémoire de notre terre.

Disclaimer Zour Bladi : Cet article relate une expérience personnelle d’exploration de la région de Béjaïa à travers le prisme de l’observation astronomique. Les informations pratiques peuvent évoluer et nous recommandons de vérifier les conditions d’accès aux sites naturels mentionnés.

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